La France est-elle toujours la "patrie des Droits de l'homme"? Etude sur la loi d’adaptation
De nombreuses voix de manifestent pour critiquer la position française vis-à-vis de la Cour Pénale Internationale. Notamment des NGOs rappellent que la ratification et la coopération entre la France et la CPI ne suffissent pas tant que le droit pénal interne n'est pas adapté pour assurer une coopération effective entre la Cour et la France.
Cet article se propose d'analyser la récente loi dite d'adaptation afin de savoir si cette critique est toujours pertinente et justifiée, notamment en comparant la position française avec celle d'autres pays européens.

Puis intervient la loi n°2002-268 du 26 février 2002 relative à la coopération avec la CPI, définissait des modalités d'entraide entre la France et la Cour.
Cependant, le Statut de Rome comporte le principe de complémentarité, qui postule que les Etats membres en premier lieu doivent poursuive et sanctionner les infractions. Seulement si un Etat membre n'est pas en mesure ou refuse d'engager des poursuites, la Cour peut intervenir.
D'où l'importance d'un droit pénal interne calqué sur le Statut de Rome assurant la pleine efficacité des poursuites nationales. En France, le Code pénal de 1994 comportait des provisions relatives aux crimes contre l'humanité, mais les crimes de guerre n'étaient pas clairement définis. De même, la compétence française en matière pénale reposait sur le principe de territorialité: seules les infractions commises en France, ou impliquant une victime ou un auteur français pouvaient être poursuivies en France. Cette position fut dénoncée de consacrer une immunité dès lors que le crime ne pouvait pas être rattaché à la France.
Ainsi, divers tentatives et projets de loi sont intervenues, qui après de nombreux échecs ont finalement abouti: est intervenue la loi n°2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale.
La loi d'adaptation
La loi comporte un grand nombre de modifications souvent fondamentales afin d'aligner le droit français sur les exigences du Statut de Rome.
Crime de génocide
Outre des dispositions déjà en place relatives au crime de génocide, le code pénal comporte désormais des dispositions concernant la provocation à commettre un génocide. Ainsi, l'art. 211-2 distingue deux situations différentes:
1. La provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un génocide. Si cette provocation a été suivie d'effet, le crime est puni de réclusion criminelle à perpétuité.
2. Si la provocation n'a pas été suivie d'effet, l'infraction est délictuelle et punie de 7 ans d'emprisonnement et de 100 000€ d'amende.
Crimes contre l'humanité
La liste désormais inscrite dans l'art. 212-1 du Code pénal s'inspire largement de la définition de la CPI, surtout comme la France supprime les "motifs politiques, philosophiques, sociaux ou religieux", jugés trop restrictifs par rapport au droit international, dans la définition de crimes contre l'humanité, s'alignant ainsi sur la définition du Statut de Rome.
Constitue ainsi un crime contre l'humanité:
1° L'atteinte volontaire à la vie ;
2° L'extermination ;
3° La réduction en esclavage ;
4° La déportation ou le transfert forcé de population ;
5° L'emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique
en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
6° La torture ;
7° Le viol, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
8° La persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international ;
9° L'arrestation, la détention ou l'enlèvement de personnes, suivis de leur disparition et accompagnés du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort qui leur est réservé ou de l'endroit où elles se trouvent dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ;
10° Les actes de ségrégation commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime ;
11° Les autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique.
Crimes et délits de guerre
Avant la nouvelle loi, crimes et délits de guerre n'étaient qu'une catégorie des crimes contre l'humanité. Or, le Statut de Rome adopte une définition très exhaustive des crimes de guerre, définissant un grand nombre d'actes matériels, notamment des attaques contre la population civile.
Dans ce texte international, les crimes de guerre sont notamment:
1) les infractions grves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 ;
2) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international ;
3) en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, les violations graves de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 ;
4) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international.
A été donc introduit dans le code pénal un livre complet "des crimes et des délits de guerre" qui comporte 42 nouveaux articles.
Défini comme "les infractions définies par le présent livre commises, lors d'un conflit armé international ou non international et en relation avec ce conflit, en violation des lois et coutumes de la guerre ou des conventions internationales applicables aux conflits armés, à l'encontre des personnes ou des biens visés aux articles 461-2 à 461-31.
Le code en identifie trois groupes principaux : ceux communs aux conflits internationaux et non internationaux et ceux propres aux conflits internationaux puis non internationaux.
Cette innovation du code pénal n'est pas négligeable du tout: la France se dote d'un arsenal juridique qui réprime de manière renforcée un grand nombre d'infractions commis dans le cadre d'une guerre.
Adaptations procédurales
Les provisions les plus intéressantes et qui sont susceptibles d'avoir le plus d'impact sont les provisions touchant aux questions procédurales.
La règle générale d'application du droit pénal français est le principe de territorialité. Pour être régi par le droit français, un acte doit être commis sur le territoire français, soit par un français à l'étranger ou impliquer une victime française.
Cependant, la justice humanitaire internationale pose des problèmes spécifiques: si terribles que soient ces crimes, ils n'impliquent que rarement des victimes ressortissant d'un Etat qui serait enclin à en poursuivre les auteurs. La justice se heurte donc au principe de territorialité propre au droit français (mais pas seulement, un grand nombre d'Etats ayant des dispositions similaires) qui exclut, en principe, le recours contre les criminels de guerre dès lors qu'il n'y a aucun lien avec la France.
Pour cela, la loi d'adaptation introduit une dose d'extraterritorialité dans la poursuite des crimes. Cette compétence d'extraterritorialité permet de juger en France même si le crime en question n'a aucun lien avec la France et aucune des victimes n’est française. Le droit pénal reconnaît déjà un certain nombre d'exceptions qui consacrent la compétence extraterritoriale:
— Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 (article 689-2 du code de procédure pénale) ;
— Convention européenne pour la répression du terrorisme signée à Strasbourg le 27 janvier 1977, et accord entre les États membres des Communautés européennes concernant l’application de la Convention européenne pour la répression du terrorisme fait à Dublin le 4 décembre 1979 (article 689-3 du code de procédure pénale) ;
— Convention sur la protection physique des matières nucléaires, ouverte à la signature à Vienne et New York le 3 mars 1980 (article 689-4 du code de procédure pénale) ;
— Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et pour l’application du protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, faits à Rome le 10 mars 1988 (article 689-5 du code de procédure pénale) ;
— Convention sur la répression de la capture illicite d’aéronefs signée à La Haye le 16 décembre 1970 et convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971 (article 689-6 du code de procédure pénale) ;
— Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale, fait à Montréal le 24 février 1988 (article 689-7 du code de procédure pénale) ;
— Protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes fait à Dublin le 27 septembre 1996 et convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires de la Communauté européenne ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne faite à Bruxelles le 26 mai 1997 (article 689-8 du code de procédure pénale) ;
— Convention internationale pour la répression des attentats terroristes faite à New York le 12 janvier 1998 (article 689-9 du code de procédure pénale) ;
— Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, ouverte à la signature à New York le 10 janvier 2000 (article 689-10 du code de procédure pénale).
Cependant, le législateur n'a pas souhaité introduire un cas de juridiction universelle, et la mise en œuvre de la compétence est strictement encadrée:
- la personne doit résider en France
- l'infraction reprochée doit constituer un crime relevant de la compétence de la CPI
- les faits commis doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou l'État dont la personne poursuivie a la nationalité doit être partie à la convention de Rome
- aucune juridiction internationale ne doit avoir exercé sa compétence pour juger la personne poursuivie en France.
- le ministère public dispose en la matière d'un monopole de poursuite
Pourquoi la France a-t-elle donc renoncé à ajouter une nouvelle catégorie de juridiction universelle, renonçant ainsi à l'"effet dissuasif, dont parle le rapport parlementaire, qu'aurait eu une telle démarche? Le rapport parlementaire donne quelques indications:
D'abord, le rapport estime que la Convention de Rome n'impose pas une telle reconnaissance, mais rappelle le devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux.
De plus, une compétence universelle poserait des problèmes techniques: comment poursuive et instruire une affaire qui s'est déroulée hors la France mettant en cause des étrangers? Il convient à cet effet de rappeler le cas de la Belgique qui, quant à elle, avait consacré en 1993 la compétence universelle et l'avait étendue en 1999 au crime de génocide. Les tribunaux belges ont ensuite été inondés de plaintes, telles que celles relatives au génocide au Rwanda, l'affaire Sabra et Chatila, et des plaintes contre un général américain pour des crimes de guerre commises lors de la guerre d'Irak. Devant le nombre important d'affaires et surtout des pressions diplomatiques de la part des Etats-Unis, la Belgique finissait par l'incliner. Une loi du 1er août 2003 permet de renvoyer un dossier devant les tribunaux d'un autre pays.
Amnesty International Belgique commente la mesure de la façon suivante:
" Avec son ancienne loi de compétence universelle, la Belgique contribuait à détruire le mur d'impunité derrière lequel les tyrans du monde entier s'abritent pour couvrir leurs crimes. Il est vraiment regrettable que la Belgique oublie, aujourd'hui, les victimes pour lesquelles son système judiciaire représentait un espoir de justice ".
Les voisins européens
Face à cette critique virulente, il convient en effet de jeter un regard au-delà des frontières de la République afin de cerner la position de nos voisins européens face à la compétence territoriale. L'exemple le plus prégnant de la Belgique montre les difficultés, surtout diplomatiques, liées à la compétence universelle.
Espagne
Depuis 2005, l'Espagne connaissait le principe de compétence universelle pour des crimes tels que le génocide ou les crimes de guerre. Après un certain nombre de dossiers polémiques, impliquant entre autres le dictateur Augusto Pinochet, des responsables chinois dans un génocide allégué au Tibet, des membres de l'administration Bush pour leur implication dans la lutte contre le terrorisme et des responsables israéliens, la pression politique et diplomatique ne cessait de monter. Ainsi, à l'instar de la Belgique, l'Espagne a limité la compétence universelle dans une loi du 19 mai 2009, soumettant l'action publique espagnole à des cas impliquant des victimes espagnols ou des suspects résidant sur le territoire espagnol.
Allemagne
L'Allemagne, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont des sujets délicats pour des raisons historiques.
Pour cela, l'Allemagne a instauré le Völkerstrafgesetzbuch (Code pénal humanitaire), portant adaptation du droit pénal allemand au Statut de Rome. §1 pose le principe de compétence universelle pour le génocide, les crimes contre l'humanité. Les autorités policières et judiciaires ont le pouvoir et même l'obligation de poursuivre, même si le crime a été commis à l'étranger. Cependant, cette compétence étant soumis au principe de subsidiarité, l'Allemagne ne pourra instruire ces affaires que si un Etat étranger mieux placé à poursuivre ou une juridiction internationale ne les poursuivent pas. Selon §153f du Code de procédure pénale, les autorités allemandes disposent d'une marge d'appréciation et peuvent ainsi décider de ne pas poursuivre une affaire, lorsque
- l'inculpé ne séjourne pas sur le territoire et un tel séjour n'est pas envisageable
- l'infraction n'a aucun lien avec l'Allemagne
- l'infraction est en cours d'être poursuivie devant une juridiction internationale ou devant une juridiction de l'Etat concerné.
Très récemment, le 1er mars 2011, une première affaire a été ouverte sur le fondement du Code pénal humanitaire allemand. En l'espèce, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda sont accusées d'avoir dirigé depuis le territoire allemand les actions d'un groupe de rebelles et d'être ainsi responsable de 26 crimes contre l'humanité et de 39 crimes de guerre, commises sur le territoire de la république démocratique du Congo entre 2008 et novembre 2009.
Cette affaire illustre la mise en œuvre de la nouvelle loi: alors que le crimes en question n'étaient pas commises sur le territoire allemand et qu'il n'y a ni victimes ni auteurs allemands, la justice allemande est compétente comme il y a un lien avec le territoire allemand. En même temps, cette application de la juridiction extraterritoriale en clarifie cependant les limites, comme la justice allemande aurait très probablement refusé d'agir en absence de lien avec le territoire allemand.
La solution retenue en France : audace ou prudence?
La nouvelle compétence extraterritoriale est ainsi une solution ambiguë: la France ne servira probablement plus de "terre d'accueil" de criminels de guerre, comme ceux-ci peuvent désormais être jugés en France (sous conditions susmentionnées). Les provisions du nouveau code pénal constituent ainsi une véritable innovation en droit français qui méritent d'être approuvées. De même, l'adaptation du code pénal et surtout la définition détaillée des crimes de guerre montre une vraie volonté d'adaptation au statut de Rome.
En revanche, la compétence extraterritoriale, même si elle pallie des défauts du droit pénal, ne peut pas cacher le fait que les crimes les plus graves ne sont pas couverts par une juridiction universelle. La France a sans doute manqué une possibilité d'afficher publiquement son engagement pour la lutte contre l'impunité.
Néanmoins, un peu de recul s'impose.
Premièrement, la France remplit désormais les obligations imposées par le Statut de Rome et son droit pénal permet une coopération efficace avec la Cour Pénale Internationale. La consécration d'une juridiction universelle ne découle pas du Statut de Rome, et il ne peut pas être reproché à la France de ne pas avoir franchi ce pas supplémentaire.
Deuxièmement, la comparaison avec ses voisins montre que la France n'est plus en retard par rapport à la coopération avec la CPI d'un point de vue légal.
Troisièmement, l'exemple belge montre les limites de l'audace en matière humanitaire. Une avance unilatérale d'un Etat est vouée à l'échec si elle n'est pas accompagnée de soutien multilatéral politique, diplomatique, et surtout juridique. Une démarche symbolique de la France l'aurait exposée à des critiques la forçant très probablement à faire marche arrière éventuellement.
Si déplorable que soit ce constat, un changement de l'attitude internationale et la volonté de coopération en matière de protection des droit humanitaires n'est pas seule dépendante de la France, mais nécessiterait un effort multilatéral, soutenu notamment par les Etats-Unis qui jusque là se sont arrogés une immunité face à la CPI qui sape la crédibilité de cette institution de justice humanitaire.
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